Ma mère est morte en fin d'après-midi; à ce
Ma mère est morte en fin d'après-midi; à ce moment là je parlais d'elle à mon amie S.
Un jour j'avais écrit ceci :
Elle procédait toujours de la même manière et utilisait les
mêmes plats, les mêmes ustensiles.
Elle prenait quelques grosses pommes de terre, qu’elle
épluchait avec un petit couteau pointu au manche de bois, les jetant au fur et
à mesure dans une bassine d’eau froide. Elle essuyait les pommes de terre avec
un torchon puis les coupait en tranches pas si fines, qu’elle déposait dans un
grand saladier très lisse de couleur crème, décoré de traits marron. Elle
épluchait également un oignon, qu’elle coupait tout pareil. Puis elle ajoutait
une petite poignée de gros sel et mélangeait l’ensemble. Elle laissait reposer
une petite demi-heure, préparant pendant ce temps la pâte brisée avec de la
farine en puits, du sel, de la margarine et de l’eau chaude, le mouvement de
ses belles mains faisant naître peu à peu la magie d’une pâte parfaite. Elle
allait chercher dans le placard un rouleau à pâtisserie constitué d’un simple
cylindre de bois dur et sombre. Elle débarrassait et lavait la surface de la
table en formica bleu, qu’elle saupoudrait alors de farine. Elle posait une
grosse moitié de la boule de pâte et entreprenait de l’étaler, tournant et
retournant le disque en devenir avec des gestes sûrs. Elle graissait le moule
en pyrex blanc parsemé de fleurettes, l’enneigeait de farine, et y plaçait
habilement la pâte étalée, en découpait alors le bord de manière à ce qu’elle
dépasse largement du moule. Puis patiemment et tranches après tranches elle
garnissait avec les pommes de terre, négligeant l’oignon. Elle plaçait ensuite
sur l’ensemble un deuxième cercle de pâte, rabattait la pâte du dessous de
manière à fermer la tourte. D’un doigt décidé elle ouvrait une cheminée au
centre du plat, badigeonnait à la main la pâte d’un mélange de jaune d’œuf et
de lait qu’elle avait battu à la fourchette dans un bol. Et enfournait le futur
pâté aux pommes de terre. Elle se lavait alors les mains et les avant-bras
largement farinés dans l’évier de la cuisine.
Lorsque le plat était cuit elle le posait sur la grille de
la gazinière et entreprenait de découper le couvercle de pâte avec le même
petit couteau qui lui avait servi à éplucher les légumes. Elle soulevait alors
avec précaution ce couvercle fumant qu’elle déposait à côté, s’emparait d’un
gros pot de crème et les pommes de terre absorbaient les généreuses cuillerées
qu’elle déposait là. Enfin, elle refermait la tourte, qui dégageait des parfums
incroyables.
Alors, se retournant, elle nous servait.