Je passais devant une galerie lorsqu’un homme y entre et, se
retournant, me tient aimablement la porte. Qu’à cela ne tienne, je ferai donc
la connaissance des peintures et gravures exposées… Dans la salle, les œuvres de
deux dessinateurs retiennent mon attention : des évocations de paysages,
assez imprécis et mystérieux pour laisser voguer l’imagination et ouvrir au rêve ;
et des oignons sous toutes leurs coutures, impertinents, de bonne humeur. Je m’interroge
sur les prix – les artistes ne sont pas connus, ce sont de petites pièces, c’est
peut-être abordable. J’ai repéré tout à l’heure la dame qui tient la galerie
mais quelque chose en elle ne m’est pas sympathique, aussi je me tourne plutôt
vers son collègue. Ah mais la première artiste dont vous me parlez est là, voyez
avec elle, me répond-il en me confiant … à la personne à qui je voulais
échapper. Il me faut bien jouer le jeu, être aimable, et puis cette femme a
sans doute des qualités, il n’est qu’à voir ce qu’elle dessine. Mais le malaise
demeure ; malgré mes questions elle ne dit rien ni de sa technique ni de
ce qui l’inspire, et j’ai beaucoup de mal à croire qu’elle a créé cet univers
que j’admirais tout à l’heure. Je n’envisage plus du tout d’accrocher chez moi
un de ses dessins, alors que j’ai encadré avec soin et placé sur un mur avec grand
plaisir un des drôles d’anges du jeune homme qui avait ouvert son atelier il y
a quelques semaines. Je me souviens avoir plus d’une fois défendu l’idée qu’une
œuvre (littéraire par exemple) doit être appréciée sans considérer son auteur. Quid ?
Voici encore de quoi méditer.